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À l'origine des faits


« Chemtrails » #2 : De la confusion autogénérée avec la géo-ingénierie et l’ensemencement des nuages

Alors que des lois sont mises en place afin d’interdire toute expérimentation de géo-ingénierie et que les récents événements dans la péninsule arabique mettent la lumière sur l’ensemencement des nuages, les tenants de la théorie des « chemtrails » se félicitent d’avoir eu « raison avant tout le monde« . Géo-ingénierie, ensemencement et « chemtrails » sont ainsi mis sur le même pied d’égalité. Cette confusion se place comme le deuxième pilier de cette théorie. Dans ce deuxième volet, Fact’Ory revient en détail sur ce que recouvrent ces trois notions et la pertinence, ou non, d’une telle confusion.


« #Chemtrails #Geoengineering« 

Dès son origine, la théorie des « chemtrails » a été associée aux modifications météorologiques ou climatiques. Comme nous le verrons plus en détail dans le troisième volet de cette série, William Thomas – journaliste et « père » de la théorie des « chemtrails » – voyait déjà dans les cirrus homomutatus une volonté de l’US Air Force d’ »ensemencer les nuages pour modifier le temps« . Recueillant le témoignage d’un certain Tommy Farmer – ancien technicien en ingénierie -, il précise que « le phénomène de traînée de condensation fait partie d’un système d’armes militaire de modification du temps ».

« Les énormes X tracés par des formations d’avions-citernes dans le ciel peuvent être suivis par satellite et coordonnés avec les faisceaux croisés des radiateurs ionosphériques pour chauffer la haute atmosphère, modifiant ainsi sa température et sa densité et renforçant les effets de la tempête« 

William Thomas, « Mystery Contrails May be Modifying Weather« , Environment News Service, 12 janvier 1999

25 ans plus tard, les théories liant HAARP et traînées de condensation continuent d’inonder les réseaux sociaux. Une recherche associant les termes « Geoengineering« , « chemtrails » et « HAARP » donne ainsi des milliers de résultats sur X, la majorité d’entre eux montre une association directe avec les traînées de condensation, le plus souvent par des photographies ou vidéos de ces dernières.

Les blogs partisans de cette théorie ne sont pas en reste. À l’instar de Profession Gendarme, le Média en 442, le Libre penseur, QActus, ou encore Aube Digitale, le sujet y est le plus souvent abordé par la porte de la géo-ingénierie. Conférence à l’ONU sur les risques liés à cette pratique ? « Chemtrails« . Déclaration de John Brennan, alors directeur de la CIA, sur la géo-ingénierie ? « Chemtrails« .

Une autre partie des publications illustre ses propos via des images et vidéos de catastrophes naturelles. En particulier, les épisodes orageux d’avril 2024 dans la péninsule arabique. Dans ce cas précis, il est moins question de géo ingénierie que d’ensemencement des nuages. L’exemple type : cette vidéo mainte fois reprise du centre de contrôle de l’ensemencement des nuages du Centre national de météorologie émiratie (NCM) de CNBC publiée en janvier 2024.

Ainsi, les publications se multiplient et se doublent désormais du fameux « ce n’est plus une théorie du complot« . Puisque les médias dits « mainstream » s’en font l’écho, alors ce qui était dénoncé comme des « théories du complots » s’avère vrai. Certains y voient là la preuve de ce qu’ils affirment « depuis 20 ans » : la modification de la météo/climat « n’était pas des traînées de condensation« .

Cependant, les médias ont-ils qualifié la géo-ingénierie et l’ensemencement des nuages de théorie du complot ou seulement celle sur les « chemtrails » ? Ont-ils nié ces pratiques ? Et d’ailleurs, celles-ci sont-elles nouvelles ? En quoi consistent elles ?


Trois termes différents pour trois visions différentes

First of all, revenons sur quelques éléments de définition. Le sujet est vaste. Il est donc nécessaire d’identifier les techniques en question et, elles sont pléthores : modification du climat, modification météorologique, géo-ingénierie, ensemencement des nuages, arme climatique, etc.

Les modifications météorologiques et climatiques

Dans un soucis pratique nous distinguerons ici les deux notions sur des critères géographiques et de temps. Tout comme météo et climat ne sont pas similaires, la modification du temps (ou modification météorologique) se conçoit par la « manipulation des paramètres physiques qui contrôlent les phénomènes météorologiques« . Ces manipulations volontaires ont par conséquent l’ambition de changer certains phénomènes météo (pluie, grêle, orage, ouragan) imminents et localisés.

Les modifications climatiques, elles, s’entendent comme « l’ensemble des techniques et pratiques mises en œuvre ou projetées dans une visée corrective à grande échelle d’effets de la pression anthropique sur l’environnement » selon le rapport final de l’Agence nationale de la recherche de 2014. Autrement appelée géo-ingénierie ou ingénierie climatique, elle englobe ainsi une large gamme de techniques visant à intervenir à une échelle beaucoup plus vaste – souvent mondiale – sur une période donnée. Cette distinction est d’ailleurs précisée par l’ANR :

« Il importe de bien distinguer la géo ingénierie qui met en jeu des mécanismes ayant un impact global sur le système planétaire terrestre des techniques et pratiques d’atténuation ou ayant simplement un impact local. »

Rapport final de l’ANR, « Réflexion systémique sur les enjeux et méthodes de la géo-ingénierie de l’environnement », p. 8 Mai 2014

En définitive, ces notions englobent l’ensemble des actions et techniques anthropiques intentionnelles dans le but d’interférer sur les conditions météorologiques à diverses échelles de temps et d’espace.


« Chemtrails »

À ce titre, la théorie des « chemtrails » peut entrer dans cette définition, puisque, rappelons le, les « chemtrails » seraient ces « traînées chimiques persistantes visibles à l’arrière des avions« . En revanche, cette théorie n’ayant jamais été démontrée, les objectifs qui lui sont attribués sont flous et son caractère intentionnel pose question. Selon ses partisans, ces traînées chimiques auraient pour ambition de créer de toute pièce le changement climatique ou, à l’inverse, l’atténuer, contrôler l’esprit des populations, entraîner une « dépopulation » mondiale, promouvoir les produits de grands groupes industriels par empoisonnement des sols et des cultures, etc.

Néanmoins, dans un contexte où le sujet du changement climatique – et les solutions à y apporter – est grandissant, les partisans des « chemtrails » s’en font également l’écho. Ainsi, la majorité des publications à ce jour estiment que ces traînées chimiques seraient en lien avec le changement climatique (afin de le créer ou l’atténuer, selon). Ce constat nous permet de définir les champs de recherche de cet article : seules les techniques de modifications par le biais d’avions seront abordées, puisque ces derniers – et leur traînées visibles de tous – sont la condition sine qua non de l’existence de cette théorie.


Géo-ingénierie

« La géo-ingénierie fait référence à un ensemble de technologies émergentes qui pourraient manipuler l’environnement et compenser partiellement certains des impacts du changement climatique » peut-on lire sur le site de l’Université d’Harvard. Celle-ci se décompose en deux grandes composantes :

  • La captation des émissions de gaz à effet de serre (GES), le CO2 en première instance
  • La maîtrise du rayonnement solaire afin de limiter le réchauffement climatique, aussi appelée Solar radiation management (SMR).

Si l’idée d’une modification délibérée du climat (Intentionnal Climate Change, ICC) a émergé dès les années 1960 et 1970 dans un contexte de guerre froide, celle-ci n’a pas fait l’objet d’une attention toute particulière de la communauté scientifique ni de l’opinion publique. Ainsi, un projet de détournement des rivières de Sibérie vers l’Asie centrale au détriment de l’océan arctique avait été un temps évoquée au sein de l’Union soviétique. Précurseur en la matière dans les années 1950, Mikhail Budyko discutait dans son livre Climatic Changes, publié en 1977, des modifications possibles du climat. Entre autres propositions : brûler 100 000 tonnes de souffre par an dans la stratosphère pour réduire l’irradiation solaire de 2%. Cette technique sera a posteriori cataloguée sous le nom de Stratospheric aerosol injection (SAI).
De son côté, le gouvernement américain envisageait dès 1965 de libérer des aérosols dans la haute atmosphère afin de favoriser la formation de nuages réfléchissants, si le réchauffement climatique devenait un jour un problème :

« Les possibilités de provoquer délibérément des changements climatiques compensatoires doivent donc être étudiées en profondeur. Une modification du bilan radiatif dans la direction opposée à celle qui pourrait résulter de l’augmentation du CO2 atmosphérique pourrait être produite en augmentant l’albédo, ou la réflectivité, de la Terre. […] Dans certaines circonstances, l’injection de noyaux de condensation ou de congélation provoquera la formation de cirrus à haute altitude. Cette méthode potentielle pour provoquer des changements climatiques doit être étudiée comme un outil possible pour modifier la circulation atmosphérique de manière à contrecarrer les effets de l’augmentation du dioxyde de carbone atmosphérique« 

Rapport de l’Environmental Pollution Panel, « Restoring the quality of our environement« , novembre 1965, p. 127

C’est également dans ce contexte que sera approuvée, le 10 décembre 1976, la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (ou Convention ENMOD). Inspirée par l’usage militaire de modifications du temps, cette convention interdit dans son article premier l’usage « à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendues, durables ou graves« . L’article II précise les techniques suscitées :

« Toute technique ayant pour objet de modifier – grâce à une manipulation délibérée de processus naturels – la dynamique, la composition ou la structure de la Terre, y compris ses biotes, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ou l’espace extra-atmosphérique »

Convention ENMOD (A/Res./31/72), Article II, 10 décembre 1976

Un an plus tard, poussé par l’augmentation des préoccupations environnementales dans l’opinion publique (le Earth Day a vu le jour en 1970), un rapport de l’Académie nationale des sciences (NAS) américaine mettra en avant des solutions d’un nouveau type : la captation du dioxyde de carbone par les océans, appelée fertilisation. On peut ainsi y lire à la page 7 :

« À l’avenir, il pourrait être possible de disperser de grandes quantités de phosphore et d’azote produits industriellement sur de vastes zones océaniques […] En principe, la fertilisation des eaux océaniques avec 10 millions de tonnes de phosphore produirait des retombées d’environ 300 millions de donnes de carbone organique ».

National Academy of Sciences, Studies in Geophysics, 1977, p. 7, 4. j. IV

Pour autant, le terme de « géo-ingénierie » ne sera utilisé pour la première fois qu’avec les travaux de Cesare Marchetti dans les années 1970, notamment son article intitulé « On geoengineering and the CO2 problem » de 1977. Il est également un des premiers à évoquer une autre technique de captation du CO2 par l’injection de ce dernier dans les océans profonds.

Le tournant des années 1980 – 1990. Avec la prise de conscience progressive des enjeux climatiques, les études portant sur la géo-ingénierie se multiplient, dont 16 sur les techniques de SRM entre 1990 et 2007. Une en particulier retiendra ici notre attention : en 1984 parait l’article « Active measures for reducing the global climatic impacts of escalating CO2 concentrations » dans la revue Acta Astronautica, vol. 11, No. 6, pp 345-348. Rédigée par une équipe – dont l’auteur principal est S. S. Penner – de l’Energy Center and Department of Applied Mechanis and Engineering Sciences de l’université de Californie, elle s’intéresse aux « conséquences de la mise en œuvre de l’une ou l’autre de deux contre-mesures actives afin de réduire l’apport d’énergie solaire sur Terre« . L’objectif : annuler un réchauffement global de l’ordre de 1.5°C. La première consiste en la mise en orbite de miroirs. La deuxième, tout aussi théorique, consiste en la modification de l’albédo terrestre par l’émission de petites particules (0.5μm) soit par la modification des carburants des véhicules, soit celle des avions commerciaux :

« Nous allons maintenant montrer que les avions commerciaux actuellement en exploitation peuvent être utilisés pour distribuer les quantités souhaitées de particules au cours de leurs opérations normales sur une période d’environ 10 ans. Le seul changement opérationnel requis est la refonte du système de combustion du moteur pour fonctionner dans des conditions plus riches que la normale et transformer environ 1% du carburéacteur en particules. »

Penner et al., 1984, p. 347

Et en effet, les « conditions plus riches » le sont particulièrement… Dans la suite de son papier, Penner explique que les standards de l’EPA (Environmental Protection Agency) sont de « 0.03lb particules pour 106 BTU » (British Thermal Unit). Or pour obtenir les résultats escomptés, il faudrait atteindre environ 0.49lb. 16 fois plus que la norme autorisée ! C’est sans compter la mobilisation de la totalité de la flotte d’avions commerciaux, la modification de l’ensemble du fuel utilisé pour ces derniers et l’ensemble des questions techniques non résolues. En somme, une modélisation mathématique concrètement irréalisable.

Malgré tout, cette étude sera citée dans un nouveau rapport de la NAS, publié en 1992 sur les conséquences du réchauffement lié aux GES. Ce dernier s’y intéresse plus en détail dans un chapitre nommé « Geoengineering » (pp. 433-464) proposant quatre méthodes distinctes :

  • la reforestation
  • la fertilisation des océans
  • la modification de l’albedo
  • l’élimination des chlorofluorocarbures atmosphériques

L’étude théorique de Penner est discutée aux pages 453-454. Elle est alors la seule technique recensée impliquant l’usage d’avions. Celle-ci montre cependant des limites importantes selon la NAS. Premièrement la hauteur optimale pour le dissémination des particules est de 40 000 à 100 000 pieds (soit entre 12km et 30km), or l’altitude de croisière de la plupart des avions commerciaux est inférieure à 40 000 pieds. Deuxièmement, la durée de vie d’une particule à cette hauteur est bien inférieure à 10 ans, elle serait plutôt de l’ordre de 83 jours pour sa demi-vie. Un rapide calcul est réalisé :

« Ainsi, la quantité de carburant à transformer continuellement en suie pour une atténuation complète est plus proche de 40% que de 1%. Cela semble inexploitable« 

NAS, 1992, p. 453

En conclusion, le rapport ne donne pas de crédit à cette piste. Les scénarios considérés alors comme les plus « prometteurs » étaient le reboisement, la fertilisation des océans et l’augmentation des nuages marins de basse altitude (que l’on retrouve aussi sous le nom de cloud brightening, idée conceptualisée par John Latham en 1990). D’autre part, les propositions de SRM sont déjà, à ce moment, hautement controversées et en l’état des connaissances de l’époque inapplicables :

« Cependant, l’effet possible de l’augmentation de la poussière stratosphérique sur la chimie de l’ozone pourrait constituer un problème sérieux […]. Des recherches pour comprendre leurs effets, ainsi que des travaux de conception et d’ingénierie, devraient être effectués dès maintenant afin de savoir si ces technologies sont disponibles »

NAS, 1992, p. 460

L’idée de Penner ne recevra alors plus de visibilité. Son article de 1993, intitulé « A low-cost no-regrets view of greenhouse gas emissions and global warming« , ne sera cité que 2 fois dans la littérature scientifique. David Keith – l’un des promoteurs les plus en vogue de l’ingénierie climatique – ne le citera même pas dans son papier de 2000 sur l’histoire de la géo-ingénierie. Même constat dans l’un des articles les plus cités de son temps sur la SAI d’Alan Robock (2009). Ou peut-être y fait-il référence indirectement lorsqu’il évoque l’option de « disperser les gaz depuis des avions par l’ajout de soufre au carburant, ce qui libérerait l’aérosol à travers le système d’échappement de l’avion« . Pour autant cette option engage, selon Robock, de nombreuses problématiques à commencer par la corrosivité d’un tel procédé (à la fois pour la combustion et pour l’avion lui-même).

On le comprend, le papier de Penner et al. se contente d’une modélisation mathématique sans considération technique rendant plus qu’improbable sa réalisation. Pour autant, les années 2000 et surtout 2010 ont été une période de renouveau des techniques de SAI. L’accent sera désormais mis sur des flottes limitées d’avions.

Oldham et al., « Mapping the landscape of climate engineering« , Philosophical Transactions of the Royal Society, 2014

Se concentrant autour de l’injection d’acide sulfurique (H2SO4) ou de dioxyde de soufre (SO2), les méthodes étudiées ne s’entendent pas sur la faisabilité d’une injection par avions. En 2009, Jonathan I. Katz, professeur de physique à l’université de Washington, estime que l’altitude optimale pour la dispersion des particules est de 30 à 50km là où les conditions « des temps de séjour des aérosols [sont] suffisamment longs« , tandis que la Royal Society planchait elle une sur altitude de 20km. Le papier de Robock montre lui que l’injection aux latitudes moyennes est également difficilement réalisable (environ 18km à l’équateur) mais qu’elle est atteignable aux hautes latitudes.

Les chercheurs estiment que l’aménagement et la réallocation d’avions militaires de type KC-135 ou KC-10 pourrait suffire. Comme le résume le tableau ci-dessous, l’opération ne nécessiterait alors que 15 KC-135 effectuant 3 vols par jour.

Un papier de 2012 table lui sur une « diffusion entre 18 et 25km d’altitude dans une plage de latitude comprise entre environ 30°N et 30°S » . Or d’après son rédacteur, Justin McClellan, l’opération nécessiterait la modification d’une flotte de 66 Gulfstream C-37A ou 24 Boeing C-17.

Autre exemple, cette lettre publiait dans Environmental Research en 2018 par Wake Smith et Gernot Wagner. Elle montre que de manière théorique, à 20km d’altitude, il faudrait une « nouvelle conception d’avion » (SAIL) aux « ailes disproportionnellement grandes par rapport à son fuselage étroit » pour atteindre ces altitudes et un nouveau type de moteurs (voir J.P. Smith, 2018). Selon cette même étude, à son maximum, l’opération nécessiterait 95 avions effectuant 60 000 vols par an à cette seule fin (sans autre charge utile), un « programme facilement détectable » précisent-ils.

Cette détectabilité d’un programme mondial de SAI est ainsi discutée plus en profondeur dans la partie « Further discussion« . Selon les auteurs, la conclusion est sans appel :

« Aucun programme mondial de SAI ne peut raisonnablement s’attendre à maintenir le secret ».

W. Smith et G. Wagner, « Stratospheric aerosol injection tactics and costs in the first 15 years of deployment« , 2018, Environ. Res. Lett., 13

Ces discussions théoriques restent cependant globalement floues sur leur faisabilité. Il suffit de lire cet entretien de James Pethokoukis pour l’American Enterprise Institute du 23 mars 2024 pour s’en rendre compte. Appelé à se prononcer sur la méthode utilisée, Wake Smith explique le plus simplement du monde que « cela pourrait nécessiter 500 ou 1 000 avions [volant] à des altitudes environ deux fois supérieures à celles de la plupart des avions« . « Easy peasy » conclut-il. Pour rappel les avions de lignes évoluent à des altitudes de croisière de 9 à 12km. Un Boeing 747-400 peut atteindre au maximum 13.7km. Cela relève d’une certaine « naïveté scientifique » selon Clive Hamilton.

Ainsi, il n’existe pas réellement de consensus entre les chercheurs du domaine. En revanche, ils semblent unanimes sur certains points : les techniques de SAI ne sont ni au point, ni réalisable en l’état des connaissances.
Pour autant qu’elles soient envisagées par ballons, tir d’obus, fusées, avions, les techniques de géo-ingénierie par SRM ne font pas consensus pour de nombreux autres acteurs. L’inquiétude face aux risques anticipés ou mal compris (appauvrissement de la couche d’ozone, impacts sanitaires et environnementaux, réduction de l’énergie solaire entrante, réchauffement de la stratosphère, etc.), que de telles techniques peuvent entraîner, a ainsi déjà donné naissance à de premières législations effectives ou sollicitées :

  • Au Mexique, par exemple, l’expérimentation de la géo-ingénierie solaire est interdite depuis 2023 « suite à une expérimentation à échelle réelle conduite par un acteur privé sur son territoire » rapporte l’IRIS.
  • L’Etat du Tennesse a approuvé une loi (HB 2063/SB 2691) interdisant « l’injection, la libération ou la dispersion intentionnelles de produits chimiques ou d’appareils dans l’atmosphère dans le but exprès d’affecter la température, les conditions météorologiques ou l’intensité de la lumière du soleil« , loi qui a créé la polémique, certains de ses promoteurs ayant déjà fait des allusions à la théorie des « chemtrails » à l’image de Frank Niceley.
  • En mars 2024 la Suisse, soutenue par Monaco et la Guinée, a proposé devant la 6e Assemblée des Nations Unies pour l’environnement la création d’un groupe d’experts ayant pour mission d’examiner la question de la SRM. Proposition déjà faite en février 2019.
  • Même les promoteurs – voir entretien avec W. Smith et D. Keith – de ces technologies en appellent à un moratoire le temps « que la science soit évaluée de manière approfondie et qu’un cadre de gouvernance soit établi« .
  • En 2022, une lettre ouverte – signée par plus de 500 scientifiques et universitaires – appelait « les gouvernements, les Nations Unies, et l’ensemble des acteurs à agir […] pour l’adoption d’un accord international de non-utilisation de la géo-ingénierie solaire« .
  • Enfin, il est à noter que de facto un moratoire sur la géo-ingénierie a été adopté par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique de 2010 (UNEP/CDB/COP/10/27, décision X/33 paragraphe w) :

« S’assurer […] qu’aucune activité de géo-ingénierie liée aux changements climatiques n’est entreprise, qui pourrait avoir un impact sur la diversité biologique, tant qu’il n’existe pas de base scientifique adéquate permettant de justifier de telles activités et d’examen approprié des risques associés pour l’environnement et la diversité biologique ainsi que des impacts sociaux, économiques et culturels associés, à l’exception des études de recherches scientifiques à petite échelle qui pourraient être menées dans un environnement contrôlé ».

COP-10 CDB, Nagoya, octobre 2010, 294-295

En d’autres termes, les méthodes de SAI conceptualisées ces 30 dernières années ne parviennent pas à répondre encore aux défis techniques qu’elles mêmes proposent, ni aux potentiels risques induits. Rappelons également, à toute fin utile, que des avions volant dans la stratosphère – au delà des 18km cités ci-dessus – ont beaucoup moins de chance de créer des contrails persistants, l’air étant beaucoup plus sec à ces altitudes. Ainsi, aucune d’entre elles ne permet de valider, même théoriquement, la théorie des « chemtrails ».


Ensemencement

Purement théoriques, elles ne sont pour autant pas les seules à être confondues avec la théorie des « chemtrails ». L’ensemencement des nuages est lui aussi régulièrement mis en cause. Etant une activité commerciale largement répandue à travers le monde (l’industrie pèse 130 millions de dollars en 2023), il devient alors simple de trouver des images qui montreraient de supposés systèmes de diffusion des « chemtrails« . Le fil est tiré : « connect the dot » comme certains aiment à le dire.

L’histoire de la modification du temps est ancienne, néanmoins son application récente peut être datée de 1946. En ce tournant de la deuxième moitié du XXe siècle, Vincent Shaefer et Berndt Vonnegut démontrent pour la première fois comment l’iodure d’argent et la glace carbonique sont des matériaux efficaces de nucléation de la glace. Les particules ainsi rejetées – en servant de noyaux de condensation – permettent aux gouttelettes d’eau de s’agglomérer et ainsi devenir suffisamment lourde pour provoquer des précipitations artificielles.

Schéma proposé par la SAWPA

La même année les premières expérimentations d’ensemencement des nuages par avion sont menées. Comme en témoigne les papiers produits par Schaefer, de nombreuses pratiques commerciales à l’international vont se développer dans les années qui suivent, même si ces dernières se concentrent aux Etats-Unis dans un premier temps : Mexique, Australie, Philippines, etc.
Dès 1953, le gouvernement américain cherche à connaître l’efficacité de cette pratique en créant l’Advisory Committee on Weather Control (voir Act67 Stat.559 du 13 août 1953). Dans son rapport final de 1957, celui-ci conclut à une augmentation de 10 à 15% des précipitations, même si certaines recherches ultérieures viendront nuancer ces résultats. Opération répétée en 1965 avec la Commission spéciale sur les modifications météorologiques.
Pour les plus curieux, nous vous invitons à consulter les références de l’ouvrage (pp.322-396, plus de 2200 références) qui montrent un intérêt international croissant au tournant du milieu du siècle.

Par exemple, la France s’est dotée d’un réseau d’ensemencement des nuages dès 1951 avec l’Association Nationale d’Etude et de Lutte contre les Fléaux Atmosphériques (ANELFA) jugée d’intérêt public, le plus souvent soutenue par les départements et communes. Néanmoins, cette association ne pratique pas d’ensemencement par avion. L’injection d’iodure d’argent se fait depuis le sol avec des générateurs à vortex.

La démocratisation de l’ensemencement s’est également faite par les agences nationales. C’est le cas de la Thaïlande qui dès 1955 lancera ses premières expérimentations. Elles donneront plus tard la Royal Rainmaking Technology puis le Department of Royal Rainmaking and Agricultural Aviation (DRRAA). En tant qu’initiateur de cette pratique – et même à l’origine de plusieurs brevets -, le roi Bhumibol Aduyadej est surnommée le « Père de la production royale de pluie ».

La Malaisie dispose également depuis 1973 de sa division du changement météorologique au sein du Département de météorologie de Malaisie (JMM). Ces deux pays utilisent cependant une technique moins courante d’ensemencement des nuages. Elle consiste en la libération d’eau salée via des tubes connectés à des réservoirs embarqués.

Ailleurs, comme aux Emirats Arabes Unis (EAU) depuis les années 1990, ou encore en Chine depuis 1958 (la création du Weather Modification Center of China Meteorological Administration date de 2007), se font par dispersion d’iodure d’argent. La Chine s’est spécialisée dans l’ensemencement par roquettes quand les EAU, eux, réalisent leurs opérations par avion.

Cette dernière technique est la plus répandue à travers le monde. Elle consiste en la libération de particules d’iodure d’argent soit par des fusées attachées aux ailes des aviations, soit libérées directement dans le nuage ou par un dispositif spécifique (voir images des dispositifs ci-dessous sur les sites de l’entreprise Cloud Seeding Technologies et de l’État du Dakota du Nord). Amorcées par le pilote, elles entrent alors en combustion pour libérer les particules soit en dessous des nuages par les courants d’air chauds ascendants, soit directement à l’intérieur ou par le dessus.

Néanmoins, peu importe la méthode utilisée, la présence de nuages chargés en gouttelettes d’eau est un pré requis. Sans cette condition, la nucléation ne peut avoir lieu et l’ensemencement totalement inefficace. C’est pourquoi le lien établit entre les « chemtrails » et l’ensemencement n’a pas lieu d’être. En effet, cette théorie se base sur les traînées de condensation visibles par beau temps dans un ciel bleu immaculé. D’autre part, le cloud seeding, tel qu’il est pratiqué dans la majorité des cas, ne crée pas de traînées persistantes à l’arrière des avions et l’altitude de vol est bien inférieure à celle des avions de ligne.

Géo-ingénierie et ensemencement sont donc deux sujets bien distincts de la théorie des « chemtrails ». Le premier n’est à ce jour que théorique (aucune expérimentation d’injection par avion n’est répertoriée) et en l’état non applicable, tandis que le second est une pratique commune dans certains pays depuis plus de 50 ans. Aucun des deux ne peut être à l’origine des traînées de condensation persistante observées par ciel bleu (voir notre article du 21 avril 2024).


De l’usage de la confusion

Malgré tout, la théorie ne faiblit pas. Bien au contraire. Dans un sondage de l’Ifop de 2019, 15% des personnes interrogées disent être tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec l’assertion suivante : « Certaines traînées blanches créées par le passage des avions dans le ciel sont composées de produits chimiques délibéréement répandus pour des raisons tenues secrètes« . De même pour trois pays anglophones (Etats-Unis, Canada et Royaume-Uni) où 16.6% de l’échantillon se disait plutôt convaincu par la théorie. Ainsi, en 2017, une étude publiée dans Nature intitulée « Solar geoengineering and the chemtrails conspiracy on scoail media » a relevé la totalité des publications sur Facebook, YouTube, Google Plus, Tumblr et Twitter (aujourd’hui X) entre 2008 et 2017. 77% des 5 millions de publications en lien avec la géo-ingénierie et les « chemtrails » se trouvaient sur Twitter.

Ce succès peut s’expliquer par de nombreux éléments liés au contexte de ces vingt dernières années – à commencer par la question du changement climatique – mais également par l’aspect empirique de l’approche des « chemtrails » : « Levez les yeux au ciel et constatez« .

En ce sens, la confusion avec la géo-ingénierie et l’ensemencement des nuages est une manière de légitimer le discours afin de donner une source crédible sur l’origine de ces contrails persistants. À ce titre, la géo-ingénierie – en tant que méthode de modification à une échelle mondiale – et en moindre mesure l’ensemencement, est particulièrement prisée car elle donne une explication à la présence planétaire de ces traînées. D’autre part, en tant que méthodes controversées, elles font plus facilement l’objet d’un rejet. La méconnaissance de l’impact de la géo-ingénierie, particulièrement en termes sanitaires et environnementaux, laisse le champ libre à toute interprétation que les théories des « chemtrails » tentent de formaliser.

Et les médias dans tout cela ? Ont-ils, comme l’affirment certains, cachés ces pratiques au public préférant les qualifier de « théorie du complot  » ? Un rapide examen du sujet dans la presse et les divers médias montre qu’au contraire, ils sont le plus souvent à l’origine de l’écho de la géo-ingénierie/l’ensemencement auprès de l’opinion publique, dont les tenants de la théorie des « chemtrails« .

Paradoxalement, comme nous le verrons dans le prochain volet, c’est une agence de presse environnementale – Environment News Service – qui a participé à la popularisation de cette théorie en publiant à trois reprises les articles de William Thomas durant l’hiver 1999. Ce sont également les médias qui ont été à l’origine de la révélation de nombreux scandales liés à l’usage d’armes climatiques. Entre autres exemples :

  • BBC Radio 4 en 2001 révélait le projet Cumulus (aka Operation Witch Doctor)
  • Le Washington Post révélait le 18 mars 1971 l’Opération Popeye à travers l’article de Jack Anderson

D’autre part, les médias n’ont pas attendu ces dernières années pour évoquer ces deux sujets. Comme en témoigne ces articles du New York Times, par exemple, la question de l’ensemencement est traitée depuis les années 1950 (1, 2, 3, 4, 5) ou encore dans Le Monde. Autre illustration, ce reportage diffusait sur TF1 en 1976 suite à la sécheresse intense qu’avait alors connu le pays. Constat similaire avec la géo-ingénierie, les articles se multiplient de manière concomitante avec les articles scientifiques dans les années 2000 (1, 2, 3, 4, 5) puis plus largement dans les années 2010.

Enfin, il est régulièrement pointé du doigt le fait que les médias auraient qualifier la géo-ingénierie ou l’ensemencement des nuages comme des théories du complot. En ce sens, les tenants de la théorie maintiennent ici la confusion avec les « chemtrails« . Or, aucun article de vérification traitant de ce sujet n’a qualifié la géo-ingénierie de « théorie du complot ». Bien au contraire, l’ensemble des articles qui s’y réfèrent font le distinguo :


Conclusion

De ses origines à aujourd’hui, la théorie des « chemtrails » est liée à la géo-ingénierie et plus récemment avec l’ensemencement des nuages. Cette confusion maintenue depuis permet à cette théorie de survivre en lui donnant une explication « rationnelle ». Pourtant, nous l’avons vu, les modifications météorologiques et climatiques ne peuvent donner raison à cette théorie que ce soit par l’inapplicabilité à l’heure actuelle des techniques de SAI, leur champ d’action incompatible avec les « chemtrails » ou encore l’incohérence des liens avec l’ensemencement. Pourtant, la confusion perdure et s’autogénère, lui conférant une forme de crédibilité, de légitimité.

Dans un troisième volet, Fact’Ory se plongera dans les archives d’Internet pour revenir sur l’histoire des débuts de la théorie des « chemtrails » à travers ses principaux prometteurs et le milieu foisonnant des blogs de la fin des années 1990.



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