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À l'origine des faits


André Coustou, Macron, gilets jaunes et armée : contexte d’une affirmation sans fondement.

Depuis le 7 mars 2024, une vidéo d’André Coustou – général de brigade à la retraite depuis 2001 – s’exprimant sur Sud Radio est très largement relayée sur les réseaux sociaux. Interrogé par André Bercoff, l’ancien militaire affirme sans sourciller : Emmanuel Macron aurait ordonné à l’armée de s’interposer avec les gilets jaunes avec la possibilité d’ouvrir le feu. En l’attente d’une réponse de M. Coustou et de M. Bercoff sur la source de cette information, Fact’ory retrace à travers cet article quelques éléments de contexte indispensables.


À l’origine de la déclaration

Invité de l’émission « Bercoff dans tous ses états » du 7 mars 2024, M. Coustou était appelé à s’exprimer au micro du journaliste phare de Sud radio, dont l’attention a été attirée par la publication d’une lettre « sur ce qui se passe en ce moment et surtout depuis le 24 février 2022, début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie« . « Anti-constitutionalité, illégalité ou a-légalité ? » titre le papier qui revient sur l’actualité récente du conflit et notamment l’intervention controversée d’Emmanuel Macron n’excluant pas la possibilité d’une intervention armée en Ukraine. Papier ou billet non pas une « lettre ». Confusion compréhensible, le personnage s’étant fait connaître en 2021 après la publication de la « Lettre des généraux » sur Valeurs Actuelles. Cependant, l’attention des internautes s’est portée sur une toute autre affirmation. À partir de 17min15, M. Coustou déclare :

« En 2018 au moment de la crise des Gilets jaunes, le chef des armées qu’est le président a donné des ordres ou directives pour que l’armée soit interposée entre d’une part les gilets jaunes et d’autre part le palais Bourbon et l’Elysée, avec, c’est ça qui est important, éventuellement la possibilité de tirer sur les manifestants […] Il a été fait savoir au président, sous une forme que j’imagine un tout petit peu diplomatique quand même, que l’armée ne tirerait pas ».

La déclaration, sensationnaliste, ne manque pas de faire réagir de très nombreux internautes (1, 2, 3, 4, 5 , 6 , 7, 8) qui ont partagé, dans la foulée, la vidéo de l’émission ou un clip du passage en question. « Macron a demandé à l’armée de tirer sur nous en décembre 2018 ! » s’exclame un premier. « Macron avait demandé à l’armée, qui avait refusé, de possiblement ouvrir le feu sur les Gilets jaunes !!! » précise en capitales un autre.


André Coustou : de la carrière militaire à l’extrême droite catholique intégriste

Peu d’informations publiques sont disponibles au sujet de M. Coustou. Présenté comme président d’honneur de l’association Place d’armes, il est issu d’une carrière militaire dont il est retraité depuis 2001, date à laquelle il fut nommé au grade de général de brigade (2ème section). Egalement administrateur de l’association « Les maires pour le bien commun » – association, présentée par l’ISSEP de Marion Maréchal Le Pen, comme luttant pour la « restauration, à l’échelle communale, de la civilisation française » – son parcours depuis 2001 est discret. Il peut être aperçu lors des marches en l’hommage à Jeanne d’Arc comme en 2011 où il fait figure de parrain de l’événement ou encore en 2022 aux côtés de Civitas – organisation catholique intégriste dissoute en août 2023 après des propos antisémites – et de Cassadre Fristot – enseignante condamnée en octobre 2021 à 6 mois de prison avec sursis pour une pancarte antisémite. Le 14 août 2021 il s’était prononcé lors d’une manifestation contre le pass-sanitaire à Ploërmel aux côtés de Pierre Cassen, fondateur du site Riposte Laïque, site dont Coustou est par ailleurs contributeur régulier. Il s’illustrera également en mars 2022 lors de la « Marche de la fierté française« .

André Coustou, au premier plan cravate rouge, aux côtés de Cassandre Fristot, à sa gauche berret sur la tête, lors de « l’hommage national à Sainte Jeanne d’Arc » le 8 mai 2022 organisé par Civitas.

Cette dernière intervention nous ramène aux premières apparitions grand public de M. Coustou. En effet, elle était organisée par les signataires de la « Lettre des généraux » relayée en avril 2021 par Valeurs Actuelles et rédigée par Jean-Pierre Fabre-Bernadac, fondateur de Place d’armes. Il avait alors bénéficié d’une exposition en passant sur le plateau de CNews quelques jours plus tard. Moins médiatique, il avait déjà signé en décembre 2018 une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron dans laquelle les généraux à la retraite appelaient à renoncer au Pacte de Marrakech. « Une fois signé, ce pacte va contraindre notre pays à accueillir un grand nombre d’immigrés, alors qu’il n’a pas encore assimilé ceux qui sont déjà là. La France va perdre sa francité » précisait il auprès du journal Le Parisien. Par la suite, il s’est fendu de plusieurs communiqués en faveur d’Alexandre Juving-Brunet, mis en examen puis placé en détention provisoire de novembre 2022 à mars 2023 pour « escroquerie en bande organisée ». Ses prises de position lui ont valu d’être l’invité de nombreux médias dits « alternatifs » ou de « réinformation » comme Profession Gendarme, Géopolitique profonde, ou encore Nexus.


… dont l’engagement se fait au détriment de l’information ?

On le comprend, M. Coustou n’apprécie guère l’exécutif actuel, qualifiant Emmanuel Macron « d’ennemi » de la France et de « tyran » lors de son passage sur Sud Radio. Cette posture n’est pas sans conséquence. En effet, elle peut être à l’origine d’une interprétation personnelle et erronée des faits. Retour en 2019. Mars, l’acte 19 des Gilets jaunes est annoncé. Jugeant des risques de violences suite à l’acte 18, le gouvernement annonce une mobilisation accrue des soldats de l’opération Sentinelle afin de permettre aux forces de l’ordre de se concentrer sur le maintien et le rétablissement de l’ordre, annonce-t-on place Beauvau et à l’Elysée le 20 mars. Leur mission devait alors consister à « sécuriser les points fixes et statiques  » mais en aucun cas être « en charge du maintien de l’ordre et de l’ordre public  » selon le président de la République. « Si de telles dispositions sont déjà régulièrement prises à l’occasion de différentes manifestations, c’est la première fois que l’exécutif communique à ce sujet, provoquant un fort effet d’annonce » rappelle le journal Le Monde. Citant les propos d’Emmanuel Macron, tentant alors de mettre d’étouffer les braises de la polémique naissante, le JDD indique dans un article du 22 mars :

« C’est exactement la même chose que ce qui avait été décidé au mois de décembre et à plusieurs reprises par le passé, c’est-à-dire faire appel aux militaires de l’opération Sentinelle pour ce qui est leur mission, la lutte contre le terrorisme et protéger des sites sensibles, pour pouvoir décharger les policiers et les gendarmes de ces missions.« 

En l’espèce, aucun ordre ou directive mentionnant l’interposition des militaires avec les manifestants. Néanmoins, une intervention du gouverneur militaire de la ville de Paris de l’époque, le général Bruno Leray, le 22 mars sur France Info va envenimer le situation : les militaires pourront même « aller jusqu’à l’ouverture du feu (…) si leur vie est menacée ou celle des personnes qu’ils défendent ». Ces propos viennent alors souffler sur les braises encore incandescentes de la polémique qui touche aussi bien hommes politiques, qu’organisations et militaires.

Est-ce à cette crainte grandissante et son désamour pour l’exécutif en fonction qu’André Coustou s’est fendu d’une telle déclaration ? Tout laisse à penser, qu’en effet, sous l’effet de ses propres opinions, il ait fait une interprétation personnelle trop hâtive de la situation en concluant à des ordres d’interposition, avec éventualité de tirs réels sur les manifestants. Il est d’ailleurs à noter que, dans son affirmation, l’ancien militaire utilise le terme « j’imagine ». Imagine-t-on lorsque l’on a eu directement vent de l’affaire ? En tout état de cause, en l’absence de réponse de ce dernier ainsi que de Place d’armes, d’André Bercoff et de Sud Radio, nous ne pouvons aller plus loin dans les conclusions. Comme seule réponse jusqu’à présent, une inscription – sans consentement – à la newsletter de Place d’armes nous a été communiquée ce jour après avoir envoyé durant la matinée un message dans la partie contact du site.


Conclusion

Cette déclaration d’André Coustou ne repose sur aucun élément concret. Si les militaires de la mission Sentinelle ont bien été mobilisés en marge du mouvement des Gilets jaunes, à des fins de sécurisation de sites fixes et statiques pour libérer des forces de l’ordre alors assignées à cette tâche, rien ne présuppose une interposition avec les manifestants. La polémique qu’avait déclenchée cette annonce et les opinions personnelles de M. Coustou ont probablement entraîné une simplification et une distorsion des événements.



Une réponse à « André Coustou, Macron, gilets jaunes et armée : contexte d’une affirmation sans fondement. »

  1. […] Radio ce 11 mars. André Bercoff – dont nous avons déjà vérifié certains propos (ici ou ici) – insiste sur l’aspect non publique des infractions constatées, appuyé par un […]

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